Zoom sur l’éducation à la sexualité au lycée

25 % des écoles interrogées déclarent n’avoir mis en place aucune action ou séance en matière d’éducation à la sexualité, nonobstant leur obligation légale. De plus, 84 % des filles de 13 ans ne savent pas comment représenter leur sexe alors qu’elles sont 53 % à savoir représenter le sexe masculin, et une fille de 15 ans sur quatre ne sait pas qu’elle a un clitoris.¹

On pourrait donc comprendre l’engouement que la série Netflix “Sex Education” a connu ces dernières années… En effet, la série se révèle comme un guide où les jeunes peuvent trouver des réponses - qu’ils·elles n’ont pas (ou peu) à l’école - sur leur vie sexuelle et sociale.

C’est dans ce contexte que nous avons fait la rencontre d’une professeure de SVT d’un lycée parisien, Laura. Cette dernière nous a fait part de son expérience professorale, et notamment sur le fait qu’il manque une politique volontaire dans les établissements sur ces questions-là :  arrivée très tardive de représentations du clitoris dans les manuels scolaires, sujets tabou dans certains établissements, embarras au sein des professeur·es… telles sont les complications auxquelles fait face Laura, qui tente, tant bien que mal de sensibiliser les jeunes à la sexualité et de libérer leur parole.

¹ Rapport relatif à l’éducation à la sexualité, mené par le Haut Conseil à l’Égalité entre les hommes et les femmes, en 2016.

Témoignage d’une femme sur le terrain

  • Pouvez-vous vous présenter ?

L : “Je suis professeure de SVT à Paris depuis 10 ans, et la question de l’éducation à la sexualité, a toujours été importante pour moi. Les élèves ont droit obligatoirement à 3 heures d’éducation sexuelle chaque année de la maternelle jusqu’au lycée. Mais dans les faits elles ne sont pas que très rarement assurées. Ces formations se font sur la base du volontariat et ne sont donc pas une priorité pour tous·tes. Cette charge revient souvent au prof d’SVT car les professeur·es d’autres disciplines ne sont pas formé·es pour parler de sexualité.

  • Y’a t-il un manque d’éducation sexuelle au lycée ?

L : “Historiquement, lors de la réforme de 2011, il y eu débat sur le fait de représenter le clitoris ou non dans les manuels scolaires. À la rentrée de septembre 2011, c’est uniquement la maison d’édition Magnard qui représente le clitoris dans son manuel scolaire. Ce n’est qu'en 2019, suite à une nouvelle réforme du lycée, que toutes les maisons d’édition de manuel de SVT ont représenté le clitoris. Durant la même année, un nouveau programme intitulé « Cerveau, plaisir, sexualité » est mis en place pour les élèves de seconde au cours duquel les notions de plaisir sexuel (féminin et masculin), d’anatomie, d’identité sexuelle et de genre sont abordées.

Aujourd’hui, les laboratoires partenaires officiels de l’Éducation Nationale ne produisent pas de vulve avec un clitoris en 3D. Nous avons des modèles anatomiques de l’appareil reproducteur féminin mais où le clitoris est absent.”

 

  • Et vos collègues ?

L : “Sur le terrain, certains collègues ne sont pas à l’aise avec le détail des représentations anatomiques. Ça ne les dérange pas qu’il n’y ait pas de représentation du clitoris et ils ne voient pas le problème de ne pas avoir de vulve en 3D.

A l’inverse d’autres professeurs se sont saisi de ce manque (dès 2015) et ont mis en place un site internet d’échange et de partage de ressources pédagogiques permettant de mettre en œuvre l’EAS* de manière plus inclusive et moins normative (voir le site : svt-egalite.fr).“

*Éducation à la sexualité

Le sexisme au lycée : la nécessité de développer de nouveaux outils

  • Avez-vous été témoin de sexisme au sein des jeunes ?

L : “J’ai du signalé plusieurs fois des propos sexistes ou homophobes pendant mes cours. Certaines élèves me racontent qu’elles subissent du harcèlement de rue, dans les transports, qu’elles ont souvent l’impression d’être suivies, que des hommes les touchent et qu’elles sont prises à leur insu en photo par des hommes de n’importe quel âge.

À titre d’exemple, j’avais installé dans le couloir de mon lycée des affiches de prévention sur le sexisme et le harcèlement sexuel, et celles-ci ont toutes été arrachées quelques jours plus tard.”

  • Au cours de votre carrière, est-ce que vous avez remarqué une évolution des mentalités ?

L : “Oui bien sûr, ce qui est positif c’est que les jeunes sont de plus en plus informé·es notamment grâce aux réseaux sociaux. Par exemple, la notion du consentement est connue par la majorité des jeunes alors qu’avant pas du tout. La question du rapport au corps et notamment à la pilosité a énormément changé aussi.

L’autre jour, il y a même une élève qui a dit “ben moi, si les rôles étaient inversés, je pourrais m’habiller comme je le voudrais sans avoir peur d’être jugée”, et une autre élève lui a répondu “quoi ? mais on est en 2022, moi je me m’habille comme je veux et je me fous de ce qu’ils peuvent penser”. Ça m’a fait plaisir de voir qu’elles étaient conscientes de ça.

Concernant l’éducation à la sexualité, la question de l’orientation sexuelle cristallise encore les tensions.”

Lire un article sur le manque d’éducation sexuelle à l’école : L'éducation sexuelle à l'école ne répond pas assez aux besoins des élèves

  • Selon vous, quelle est la meilleure manière de sensibiliser ?

L : “J’ai expérimenté plusieurs façons de faire : je fais souvent des boites à question anonymes pour libérer leur parole et pour qu’ils·elles se sentent à l’aise de parler de sexualité.

Il y a deux ans, on avait eu l’idée avec deux autres collègues de SVT de faire une radio autour de la sexualité et laisser les élèves choisir le sujet. Sauf que finalement les sujets étaient assez déprimants, puisqu’ils·elles avaient envie de parler de choses hyper négatives, sur le viol, le harcèlement, etc. Ce qui n’est pas mal en soi, mais la sexualité ce n’est pas que ça. C’est sûrement dû à l’actualité qui les entourait. Mais cette émission de radio a permis de les faire réfléchir aux enjeux de l’égalité filles/garçons dans le cadre de leur sexualité.

Une des contraintes dans la construction d’un vrai projet d‘équipe autour de l’EAS est le manque de temps de concertation et la frilosité de certains chefs d’établissement. Par exemple, depuis 5 ans je me battais pour avoir une journée dédiée, où tous les cours seraient banalisés pour parler de la santé, et notamment de la sexualité. Mais ça été refusé par l’établissement. Pour la direction, il ne fallait pas parler de quelque chose de “trop sensible” comme la sexualité, mais plus d’alimentation et d’anxiété.

En cherchant de nouvelles ressources pour traiter ces sujets là avec mes élèves, je suis tombée par hasard sur des jeux comme le votre ou ceux de Sexploration .”

  • En quoi le jeu Moi c’est Madame peut être un outil dans votre pédagogie ?

L : "Le jeu Moi c’est Madame est un outil pédagogique vraiment pertinent même si je n’ai pas eu le temps cette année de l’intégrer complètement. L’année prochaine, je l’intègrerai dans le programme lorsque nous aborderons les chapitres sur la sexualité.

Aborder la question de la sexualité et du sexisme par le jeu, est un biais qui est efficace pour sensibiliser les élèves et plus facilement accepté par l’établissement. Durant le jeu, il n’y a pas eu de sentiment d’auto-censure, les élèves se sont senti·es à l’aise de parler de certains sujets.”

  • Comment a été accueilli le jeu dans vos ateliers ?

L : “Très bien, même si les garçons ne comprenaient pas en quoi certaines cartes attaques étaient sexistes. D’ailleurs, ce n’est pas moi qui suis intervenue pour leur expliquer pourquoi une attaque était sexiste. C’est une autre élève de la classe qui leur a expliqué, ce qui a eu beaucoup plus de signification, je trouve, que si c’était moi qui leur expliquait avec ma casquette de prof.

J’avais décidé de ne pas imposer les groupes et ils n’ont fait qu’un seul groupe mixte sur quatre et cela a très bien marché quand même. J’ai enlevé les cartes qui traitent de parentalité et des rapport dans le couple. Il n’y a aucune carte qui a posé problème ou qui n’a pas été comprise.

Au début, tous·tes pensaient qu’il était simple de répondre à une attaque. Mais il me semblait important de leur faire comprendre que quand une personne est attaquée, cela peut être très violent. Il est donc plus difficile d’avoir de la répartie à ce moment là, d’où l’importance de s’entrainer avec le jeu Moi c’est Madame.”

  • Qu'est-ce qu'il serait important d'ajouter au jeu MCM jeunes par rapport à l'existant ?

L : “Il est important d’ajouter la question du cyber-harcèlement (nudes, etc.) parce que c’est un problème auquel ils·elles sont très fortement confronté·es. La question de la réputation (qu’est-ce qu’une “salope” ?), manque selon moi dans Moi c’est Madame. La question des compétences physiques aussi est importante à aborder car ça en bloque certain·es.

Ce qui est nécessaire, c’est de toucher le profil des profs avec cette extension jeune, et réfléchir sur comment communiquer dans les établissements et les convaincre d’utiliser le jeu.”

Zoom sur l’éducation à la sexualité au lycée