À la rencontre d'une éducatrice spécialisée en prévention
L'équipe éclap a eu la chance d'interviewer Mélissandre, éducatrice spécialisée à Cluses (Haute-Savoie). Cet échange nous a permis d'avoir un aperçu sur le quotidien des éducateur·rices qui sont sur le terrain au plus près des jeunes et de leurs histoires. Ils et elles sont pour nous des partenaires indispensables pour nous aider à concevoir nos outils de sensibilisation face au sexisme.
À travers cette article, vous découvrirez la réalité des épreuves vécue par les jeunes au quotidien ainsi que l'importance des interventions de Mélissandre et son équipe.
_
Être éducatrice spécialisée
L'éclap : Qu'est-ce que l'EPDA ?
Mélissandre : Cela signifie : Établissement Publique Départemental Autonome. Il est financé par le département mais a son propre Conseil d'Administration, il est en quelque sorte autonome. Il dépend de la protection de l'enfance.
L'éclap : Quelles sont tes missions au quotidien en tant qu'éducatrice spécialisée ?
Mélissandre : On est un service de prévention spécialisé, c'est-à-dire, qu'on va à la rencontre des jeunes directement sur leur lieu de vie, dans leur quartier, à la sortie des écoles, en extérieur... C'est à partir de cette rencontre là qu'on peut proposer des actions éducatives, soit individuelles, soit en groupe.
Mélissandre : Alors les 5 piliers de la préventions sont :
- Le non-mandat ; nous ne sommes mandatés par personne, c'est-à-dire que d'habitude les éducateurs sont mandatés pour des situations spécifiques : par un juge, parce qu'on a un handicap par exemple. Nous à l’EPDA, nous n'avons pas de mandat, nous sommes disponibles et accessibles pour tous les jeunes, peu importe leur situation personnelle. Même si nous dépendons de la protection de l'enfance, il n'y a pas de juge, pas d'obligation.
- L'anonymat ; nous ne sommes pas tenu de révéler le nom des jeunes qu'on accompagne. On donne quelques infos pour les stats mais ça s'arrête là. Et les jeunes viennent nous voir pour ça justement ! Bien sur, nous intervenons s’il y a un mineur en danger mais cela reste totalement anonyme.
- La libre adhésion ; c'est-à-dire que les jeunes viennent si ils veulent, ils ne sont pas obligés de venir. Ils peuvent venir une fois, dix fois puis plus du tout et c'est leur droit ! Après notre rôle c'est de susciter l'adhésion évidemment, mais on ne peut pas forcer les jeunes à venir nous voir. Ce qui est à la fois hyper riche et hyper compliqué parce que si jamais il y a un jeune qui a vraiment besoin d'un soutien et qu'on arrive pas à le faire venir ben.... c'est très frustrant ! Par contre une fois que le jeune est là, c'est qu'il a vraiment envie d'être là. Il a vraiment envie de s'investir, de faire des choses avec nous. Cela crée un lien fort et particulier avec les jeunes.
- La non-institutionnalisation ; ça veut dire qu'on institutionnalise pas les pratiques. Si on fait quelque chose une fois, on n’est pas tenu de le refaire tous les ans de façon systématique. Il y a bien sur des choses qui sont pertinentes à reproduire tous les ans, mais on institutionnalise pas ce genre de chose, nous sommes très adaptables.
Et le 5 ème pilier ; on en a parlé c'est le partenariat !
L'éclap : Qu’est-ce que la prévention spécialisée ?Mélissandre : C'est une action d'aller vers le jeune. C’est une démarche volontaire de l'éducateur qui va vers le jeune. "Aller vers" c'est le maître mot de la prévention.
-
Les interventions auprès des jeunes
L'éclap : Pourquoi c'est important d'apporter une attention particulière aux années collège ?Mélissandre : Notre public cible c'est vraiment les 11-15 ans parce que c'est vraiment une période charnière dans la construction de l'adolescence. C'est la fin de l'enfance et le début de l'adolescence. Ils tendent vers une vie d’adulte, mais n’y sont pas encore. Françoise Dolto décrit l'adolescence comme le complexe du homard. Le homard lorsqu'il grandi perd entièrement sa carapace et passe cette période à être 100% vulnérable face à tous les aléas extérieurs avant de refaire sa carapace d'adulte. Les jeunes sortent de l'enfance, ils sont tout contents d'aller dans le monde des adultes mais en même temps il y a une période de transition où ils sont ultra vulnérables et ils se prennent dans la face la puberté, la sexualité, les responsabilités : ce qui est difficile à gérer ! Le monde extérieur est dur et violent, et à l'intérieur c'est difficile aussi.
"Les années collège" sont notre public cible, mais on est amené à travailler parfois avec les primaires, surtout pour des interventions ponctuelles dans les écoles. Par exemple, pour la prévention des risques psycho-sociaux, on intervient dans tous les primaires. On travaille également avec les lycées jusqu'à 18 ans parfois 21 ans.
L'éclap : À quel moment ont lieu vos interventions ?
Mélissandre : C'est très varié ! On peut être amené à faire des interventions dans les collèges, les lycées, sur des actions de prévention sur le temps scolaire. On va aussi dans la rue voir les jeunes et parler directement avec eux. C'est nous qui gérons à quel moment on fait mettre en place une action. On essaie de juger au mieux à quel moment on va pouvoir voir les jeunes, quand est-ce que cela est le plus pertinent d'être là ou pas. L'avantage de la prévention c'est qu'on n'est pas dans le quotidien, on peut décider de déplacer un projet. On a plus de flexibilité qu'un éducateur dans un internat par exemple.
L'éclap : Où les jeunes peuvent-ils vous trouver ?Mélissandre : On a un local qui est juste à côté du collège. Il est pas mal repéré par les jeunes maintenant. On a des permanences au local les mardis et mercredis soir où ils sont sûrs de trouver des éducateurs. C'est un lieu pour les rencontrer en individuel, en groupe...
L'éclap : Avez-vous une totale liberté dans la construction et la mise en place de vos projets ?Mélissandre : On fait valider le projet par le chef de service et l'équipe du territoire, puis on fait des évaluations en fin de projet. Il arrive que les chefs nous disent "ça, vous ne pouvez pas le faire". À l'EPDA on a quand même beaucoup de liberté pour mettre en place des actions. Ils sont très ouverts du moment que l'on justifie de l'intérêt du projet mais ça, il n'y a pas de soucis dans l'équipe !
L'éclap : Vous êtes combien dans l'équipe ? Quelle est votre organisation en interne pour monter des projets ?
Mélissandre : Nous sommes 4 éducateurs à temps plein. Moi cela fait 2 ans que je suis sur ce poste, un collègue ça va faire un an et une autre qui est là depuis 13 ans, et une 4ème personne ne va pas tarder à arriver. On a l'habitude de faire des réunions tous ensemble chaque semaine pour pouvoir échanger sur les actions à mettre en place. En général, pour monter les projets on crée des binômes pour ne pas individualiser les relations, ni les liens avec les partenaires. Par exemple, pour les ateliers Moi c'est Madame c'est moi qui suis la référante de l'équipe mais maintenant les autres collègues participent aux ateliers avec moi. La semaine dernière on a fait un atelier avec les 12-14 ans avec ma collègue Pauline. La semaine prochaine on en met un en place pour les 15-16 ans avec mon collègue Mathieu. Moi c'est Madame ça intéresse tout le monde, du coup moi je centralise les infos mais tout le monde y participe.
-
Le jeu Moi c'est Madame comme outil
L'éclap : Ça fait plaisir de savoir que Moi c'est Madame intéresse toute ton équipe et que vous avez envie de participer à la construction de la version jeune !
Mélissandre : Oui d'autant plus qu’on organise pour le moment des ateliers sur Cluses, mais des ateliers vont se mettre en place sur Bonneville et sur La Roche-sur-Foron avec les collègues qui travaillent sur ces villes là.
L'éclap : C'est super ! Merci de participer à la création du jeu pour la version jeune !
Mélissandre : Je ne sais pas si on arrivera à faire des cartes complètement opérationnelles, mais pour nous cela crée beaucoup d’interaction et de lien avec les jeunes donc c'est vraiment cool !
L'éclap : Super ! Comment a été accueilli le jeu dans vos ateliers ?
Mélissandre : Alors cela a beaucoup intéressé les jeunes, en particulier les filles. On doit déjà les sensibiliser pour leur dire que ce qu'elles vivent au quotidien, ce n'est pas normal. Par exemple, ne pas passer dans certaines rues du quartier parce qu'il y a des garçons qui sont là et qu'elles ne veulent pas être embêtées, ce n'est pas normal !
L'éclap : Oui on banalise beaucoup d'action de notre quotidien...
Mélissandre : Oui et même chez les adultes ! On essaie de sensibiliser nos collègues et même moi des fois je dis des choses et puis ensuite je me dis "mais non attend, c'est sexiste ça en fait !". La semaine dernière on a crée quelques cartes attaque et la moitié sont des citations qui viennent des adultes travaillant au collège. C’est du genre "habillé comme ça tu cherches l'agression ?! ". Alors que je pourrais me balader nue dans la rue cela ne justifierait pas le fait de me faire agresser en fait... On essaie de travailler sur ces représentations là.
On élargie également la question, parce que nous on voit beaucoup de choses qui sont aussi sexistes envers les garçons; par exemple un garçon qui exprime ses émotions est forcément gay, alors que non ! Un garçon a le droit aussi de dire que là ça lui plait ou ça ne lui plait pas, qu'il ne se sent pas bien. Il a le droit de ne pas être costaud et une fille peut porter plus lourd que son voisin, ça n'est pas un soucis !
Pour le moment on a beaucoup de groupe de filles, mais pour le coup elles voient aussi le sexisme chez les garçons, elles nous racontent les anecdotes de leurs copains. Ce jeu est super parce qu'il vient créer des prises de conscience chez les jeunes et nous cela nous permet de nous faire repérer comme étant un adulte de référence sur ces sujets là.
L'éclap : Pourquoi le jeu Moi c’est Madame est un outil pour vous ?
Mélissandre : Nous le but du jeu c'est que l'on soit assez en lien avec les jeunes pour qu'un jour s'ils sont confrontés à une situation complexe et qu'ils ne trouvent personne avec qui en parler, cela soit nous. Ils peuvent parler avec nous de tous les sujets ! Cela nous arrive de faire des accompagnements pour les IVG par exemple, on respecte l'anonymat. On a l'autorisation de le faire et les parents ne sont pas tenus d'être au courant. Ils sont au courant que l'on voit leur enfant mais ils ne connaissent pas les raisons.
L'éclap : À quels moments vous rencontrez les parents ?
Mélissandre : Dans le cadre de médiation familiale parfois, à la demande du jeune, ou bien si les parents nous sollicitent.
L'éclap : Est-ce que les garçons viennent vous voir autant que les filles ?
Mélissandre : Oui sur Cluses on a pas mal de mixité et c'est pour cela que l'on tient à garder une mixité dans l'équipe également, parce que en tant que professionnel on a beau être autant à l'écoute les uns les autres, il y a forcément des affinités.
L'éclap : Selon toi, qu'est-ce qu'il est important d'ajouter au jeu Moi c'est Madame jeunes par rapport à l'existant ?
Mélissandre : Il me parait essentiel de partir de leur expérience pour leur dire que leur parole a de l'importance et qu'il y a plein d'autres jeunes en France qui vivent la même chose. Se dire que toutes les attaques ont été réellement vécues c'est hyper important. Cela aide à prendre conscience que certaines attaques sont quotidiennes et ne sont pas anodines.
Il est aussi important d'élargir la question du sexisme tout court et pas seulement à la femme. Les garçons, les différents genres, les différentes orientations sexuelles... sont aussi des sujets à aborder dans la version jeune je pense. Ce sont des situations auxquelles on est de plus en plus confronté·es.
-
Interview menée par Manon Garcia del Barrio pour L'éclap'
-
Si vous aussi vous souhaitez utiliser le jeu Moi c’est Madame comme outil pour sensibiliser sur le sexisme, vous pouvez vous le procurer en cliquant ici. Contactez-nous si vous souhaitez recevoir gratuitement le livret pédagogique qui va avec !